mardi 23 août 2016

Reconstruction et traces d'occupation

Les circonstances de l’incendie de la chapelle qui eut lieu en 1754 restent nébuleuses. Si certains affirment que pratiquement aucune information n’est disponible à ce sujet [1], d’autres avancent que l’incendie eut lieu en septembre et qu’il consuma «tout le secteur s’étendant de la résidence des jésuites à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, y compris l’hôtel de la Compagnie des Indes[2]». Une chose est certaine : l’incendie fut violent. Le seul objet à résister à l’incendie est, comme par miracle, la petite statuette offerte par le baron de Fancamp à Marguerite Bourgeoys.

La recontruction de la chapelle n’a pu être entreprise immédiatement après le sinistre : en 1754, la France et l’Angleterre fourbissent leurs armes : c’est l’aube de la guerre de Sept Ans, qui débuta deux ans plus tard. Le site est laissé à l’abandon, les murs de pierre de la chapelle incendiée toujours debout[3].

En 1766, les Britanniques, à la recherche d’un terrain pour bâtir les casernes qui logeraient leurs soldats, choisirent le site de la chapelle incendiée. Ils planifiaient détruire les ruines et s’emparer du site. Cette éventualité fut suivie d’un ballet diplomatique entre les autorités britanniques et les prélats catholiques. Étienne Montgolfier, sulpicien et prêtre de la paroisse, informe les Britanniques que la Fabrique de la paroisse entend reconstruire la chapelle. Les casernes seront finalement construites sur un terrain voisin[4]. En 1771, les travaux de reconstruction débutent pour se terminer deux ans plus tard. La nouvelle chapelle est beaucoup plus grande que la première : une voûte en cul-de-four supporte le chœur. Cette voûte, ainsi que la cave de la nouvelle chapelle, englobent le terrain original. Le talus disparaît, tout en étant préservé sous le nouveau bâtiment. Il sera redécouvert lors des fouilles archéologiques de 1996-1997.

Si une partie du talus n’est plus visible, le site n’en continue pas moins d’attirer la convoitise. Au cours de la décennie 1860, la municipalité souhaite exproprier la chapelle afin de prolonger la rue St-Denis vers le port[5]. Des négociations ont lieu et dans un esprit de compromis, certains acteurs de cette saga cherchent même un autre terrain pour reconstruire la chapelle, dans l’éventualité où elle serait détruite. Un seul problème persistait, et il se trouvait dans un contrat datant de 1678. «En effet, le contrat d’annexion [de la chapelle à la paroisse Notre-Dame] supposait que le site où s’élevait la chapelle serait consacré à Marie ‘à perpétuité’[6].» Heureusement, le projet de prolongement fut abandonné quand d’autres rues donnèrent accès au port[7].




Un autre projet vint menacer la chapelle. Le développement ferroviaire considérable du quartier portuaire entraîna l’installation de voies ferrées et la destruction des anciennes casernes britanniques. En 1882, la Canadian Pacific Railway Company (le CP d’aujourd’hui) souhaite construire une gare dans le quartier. Le site choisi pour la gare centrale : celui de la chapelle, bien entendu. Cependant, au lobby militant pour la démolition du bâtiment s’opposèrent des militants voulant préserver le patrimoine bâti. «Au souci de l’économie ils opposent le devoir de mémoire et le respect de l’histoire […][8].» Devant l’opposition, le CP recule : la gare Dalhousie fut finalement construite sur la rue Berri, entre les rues Saint-Antoine et de la Commune.

Ainsi, la chapelle échappa une dernière fois aux menaces de destruction entraînées par le choix judicieux de son emplacement, qu’avait fait Marguerite Bourgeoys. Les traces du passé de ce talus furent conservées, dans une intégrité remarquable. Aujourd’hui, dans le site archéologique, nous pouvons observer les étapes successives d’occupation, de la préhistoire au 19e siècle.

Source : Karine St-Louis, responsable du service de l'animation éducative et culturelle



[1] Simpson et Pothier, Une chapelle et son quartier, p. 60.

[2] Gilles Lauzon et Madeleine Forget (dir.), L’histoire du Vieux-Montréal à travers son patrimoine, Sainte-Foy, Les publications du Québec, 2004, p. 86.

[3] Simpson et Pothier, Une chapelle et son quartier, p. 61.

[4] Simpson et Pothier, Une chapelle et son quartier, p. 64-66.

[5] À cette époque, le port de Montréal connaît un développement important et il semblait nécessaire, aux yeux des autorités, d’avoir une voie d’accès directe entre la ville et le port.

[6] Simpson et Pothier, Une chapelle et son quartier, p. 104-106. C’était une exigence de Marguerite Bourgeoys.

[7] Les rues Saint-Pierre et Normant. La maison mère de la Congrégation dans le Vieux-Montréal fut expropriée au début du 20e siècle pour permettre le prolongement du boulevard Saint-Laurent jusqu’au port.

[8] Simpson et Pothier, Une chapelle et son quartier, p. 108-109.

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